Crampons et autres fantaisies hippiques - 48
Petite suite, mais je l'ai allongée au maximum. Et je vous préviens: je n'ai plus beaucoup d'avance. Alors d'ici deux suites il me semble. Il y aura une pause dans la publication de "Crampons et autres fantaisies hippiques", le temps que je me remette à son écriture (eh oui, presque deux mois sans écrire). Mais d'autres choses seront publiées entre temps, des OS, la suite de "Métro, boulot, dodo?" entre autres.
Bonne lecture! x)
Vu l'état d'énervement dans lequel Mikaël avait quitté le commissariat, Stefen avait tenu à accompagner Peter jusque chez lui. Pas qu'il craigne que Mikaël ne fasse du mal à son petit ami, mais quand même, sait-on jamais, on fait n'importe sous le coup de la colère, avait-il dit. Les deux hommes arrivaient sur le palier où se trouvait l'appartement de Peter lorsqu'une dame d'une petite cinquantaine d'années sortit de l'appartement mitoyen avec son fils de quinze ans. Elle interpela les deux hommes.
-Ah! Monsieur MacLean, vous êtes enfin là! J'allais sonner chez vous, et peut-être même appeler la police ensuite.
-Pourquoi?
-Y'a de drôles de bruits chez vous, comme si des choses tombaient par terre.
A ce moment là, on entendit un bruit sourd envahir le palier, puis le silence revint.
-Vous voyez? Exactement comme ça!
-D'accord. Merci de m'avoir prévenu. Mais ne vous inquiétez pas, la rassura-t-il. J'héberge actuellement un ami et il a appris une très mauvaise nouvelle toute à l'heure. Donc c'est pour ça qu'il est énervé.
Un autre bruit sourd traversa les murs.
-Mais il va complètement détruire votre appartement! s'exclama-t-elle.
-Ne vous inquiétez pas pour ça, Madame. Je vais régler ça le plus vite possible avec mon ami, dit-il en désignant Stefen. Vous n'avez pas besoin d'appeler la police.
-Vous êtes sûr? Il a l'air violent votre ami.
-J'en suis sûr. Maintenant, si vous voulez bien rentrer chez vous, on va s'en occuper.
L'adolescent, dont la curiosité avait été vite assouvie, rentra aussitôt mais la mère eut plus de mal à se laisser convaincre. Cependant, au bout de quelques minutes, elle aussi rentra chez elle, laissant les deux hommes seuls sur le palier. Peter entra sa clef dans la serrure et commença à la tourner lorsqu'un troisième bruit, différent des deux premiers, se fit entendre. Stefen, prudent, défit la lanière de cuir qui retenait son arme dans son étui, pour qu'il puisse la prendre au cas où Mikaël se montrerait dangereux. Peter s'en aperçut et lui lança un regard noir.
-Stefen, je te préviens, t'as pas intérêt à pointer ton arme contre lui.
-C'est juste au cas où, Peter, s'il pète vraiment un câble.
-Je m'en fous Stefen, je préfère m'en prendre plein la gueule plutôt que tu pointes ton flingue sur lui. De un, parce qu'il va nous haïr tous les deux pour ça si tu le fais. De deux, parce que ça se fait vraiment pas de viser mon mec. Et de trois, parce que Mikaël a une véritable phobie des armes à feu, et fait une crise dès qu'il en voit une, d'après My. Donc si tu veux le rendre encore plus incontrôlable qu'il ne l'est sûrement déjà, et bien vas-y, utilise ton flingue.
En trois secondes, Stefen se rangea de l'avis de Peter et referma l'étui de son pistolet, qu'il cacha ensuite du mieux qu'il put sous sa veste. Puis il fit signe à Peter qu'il était prêt et celui-ci continua d'ouvrir la porte. En même temps, il tapa deux fois fort dessus et s'annonça.
-Mikaël! C'est moi! Je suis avec Stefen.
Puis ils entrèrent dans l'appartement, et eurent un aperçu de ce à quoi il pouvait ressembler après un tremblement de terre. De l'entrée, ils voyaient qu'une bonne partie du contenu de la bibliothèque du salon avait été mise par terre et que tous les DVDs, initialement dans le meuble télé, avaient été projetés aux quatre coins de la pièce. Le canapé avait été retourné plusieurs fois et tout ce qui reposait sur la table basse était maintenant à terre. Seul le coin peinture de Peter avait été préservé: on pouvait juste voir quelques bouquins et DVDs au pied du chevalet.
Mikaël était dans la cuisine, au milieu des morceaux de verre et de céramique qui jonchaient le carrelage, après qu'il ait fait un nettoyage radicale des étagères. Il avait posé ses mains de part et d'autre de l'évier, et laissait pendre sa tête entre ses épaules, le regard perdu dans le gris froid et métallique de l'inox. Il ne savait plus trop où il était, ce qu'il faisait, ou même pourquoi il se sentait à la fois si triste et si furieux. Sa tête était tellement vide qu'il se demanda même à un moment qui il était. Mais cela lui revint lorsqu'il entendit une voix l'appeler depuis l'entrée. Une jolie voix d'ailleurs, qui semblait très inquiète. Ses intonations, son ton, lui disaient quelque chose, même s'il n'arrivait pas à mettre un nom dessus. Et le "C'est moi" lancée par la voix ne l'aidait pas. Il avait pourtant l'impression que cette voix appartenait à quelqu'un qui lui était proche, alors pourquoi diable ne s'en souvenait-il pas? Pourquoi tout son esprit était blanc lorsqu'il essayait de réfléchir?
Il sentit plus qu'il ne vit quelqu'un approcher. C'était le propriétaire de la voix, et il semblait marcher avec précaution. Puis il l'enlaça en répétant son prénom à de nombreuses reprises, et il le souleva pour le porter hors de la cuisine jusque dans le salon. Mikaël se laissa complètement faire, comme une poupée sans vie dans les bras de Peter. Il resta indifférent aux supplications de Peter, qui s'inquiétait de plus en plus de le voir si détaché du monde extérieur. Comme s'il n'était plus là et s'était réfugié à l'intérieur de lui-même. Comme si après avoir exprimé toute sa colère, il n'avait plus rien à dire et avait décidé de se retirer du monde. Et rien ne semblait pouvoir le ramener auprès de son amant. Ni les prières, ni les mots doux, ni les injonctions, ni la violence. Seul un mot, après de multiples et vains essais, fit écho en lui. Juste un prénom.
"James..."
Enfin, Mikaël détacha ses yeux du mur en face de lui et lentement, comme au ralenti, les tourna vers Peter, qui était agenouillé à ses pieds.
-C'est le fait que O'Brian ait parlé de James qui t'a mis dans cet état?
"O'Brian? James? Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qui s'est passé nom de dieu! Pourquoi j'arrive pas à me souvenir?!"
Peter, à voir les yeux déroutés de Mikaël, sentit qu'il était sur la bonne voie. Alors il continua, quitte à lui faire mal, quitte à réveiller de nouveau ses démons intérieurs.
-Ca t'a choqué qu'il te dise clairement qu'il pensait que tu te droguais?
"Je ne me drogue pas. Je ne me suis jamais drogué. C'était une erreur de gamin, ça ne compte pas. Je ne me drogue pas."
-Je ne me drogue pas, murmura-t-il. Je ne me drogue pas. Je ne me drogue pas.
Mikaël répétait ces quelques mots tels une litanie. A croire que c'était la dernière chose dont il était sûr et qu'il s'y raccrochait désespérément. Peter, chamboulé par la détresse qu'il entendait dans ce murmure quasi inaudible, se releva et enlaça doucement son amant.
-Je sais. Je sais que tu ne te drogues pas Mikaël. Je le sais.
A ces mots, qu'on aurait dit qu'il attendait depuis longtemps, Mikaël relâcha toute la tension qui l'habitait et se laissa tomber, inconscient, dans les bras de Peter. Celui-ci le rattrapa comme il put et avec l'aide de Stefen, le porta dans leur chambre. Le plus vieux retourna dans le salon commencer à ranger tandis que Peter déshabilla son homme, avant de le coucher sous la couette et de le border comme un enfant. Ensuite, il rejoignit son ami dans le salon. Il se laissa tomber dans le canapé, remis à sa place originale, et poussa un long soupir fatigué.
-Laisse Stefen, je vais ranger.
-Mais non, c'est bon. Je suis venu, j'ai rien fait, alors je peux au moins mettre un peu d'ordre dans tout ce bordel.
-... Merci, c'est gentil.
-De rien, c'est normal. Par contre, je crois que tu vas devoir te racheter des assiettes et des verres. Il a tout foutu par terre.
-Tout tout tout?
-Il reste les petites assiettes et les verres à vin, d'après ce que j'ai vu. Le reste a voltigé.
-D'accord...
Peter bascula la tête en arrière et ferma les yeux, se laissant envahir par la fatigue. La soirée avait été éprouvante. Bien plus que celle de la veille, où il avait pourtant fait son coming-out. Il sentit le canapé s'affaisser à sa gauche et rouvrit les yeux sur Stefen.
-Ca va?
-Ca pourrait aller mieux, fit-il d'une voix morne.
-J'imagine... C'est toujours comme ça ses crises? osa Stefen après un instant de silence.
-Non, pas que je sache. Là, c'était plus violent, et ensuite beaucoup plus apathique. Mais je suppose qu'il va refaire quelques crises cette nuit, donc j'aurais plus d'éléments de comparaison à ce moment là.
-Hum... D'accord... Dis-moi, Peter...
-Hum?
-... T'es sûr de le vouloir? Avec lui? demanda-t-il, terriblement embarrassé.
Peter lui lança un regard intrigué, vérifiant où il voulait en venir, puis il lui répondit.
-Ouais, je suis sûr. Et ça ne peut être qu'avec lui.
Stefen hocha la tête, signe qu'il avait compris le sentiment de son ami, puis lui souhaita bon courage.
-J'espère que tu ne craqueras pas.
-Moi aussi, j'espère... Moi aussi...
-Et si jamais ça arrive, je suis là, ok? le rassura Stefen.
-Ok. Merci. ... Bon, on se le range cet appart' ou on glande?
-On se le range!
En un peu plus d'une demi-heure, tout avait repris sa place originale dans l'appartement, sauf les verres et les assiettes brisées, qui avaient fini à la poubelle. Stefen était ensuite parti retrouver Nathaniel qui l'attendait chez eux, et Peter avait pris une douche rapide. Il se glissa ensuite sous la couette, sans même penser à manger, et se rapprocha le plus qu'il put de son compagnon. Il passa ses mains autour de son ventre et le serra contre lui. Une vingtaine de minutes plus tard, Mikaël commença à s'agiter et à parler dans son sommeil, prémices sans conteste d'une crise, qui serait la seconde d'une longue série.
Peter arriva avec près d'une demi-heure de retard au commissariat le lendemain matin. Il rejoignit discrètement son bureau et salua Stefen qui rangeait un peu ses affaires.
-Salut, le chef est passé?
-Non, pas encore. Donc on peut dire que t'es arrivé à l'heure. Tu t'es pas réveillé ou quoi?
-Ouais, c'est ça, confirma-t-il en sortant quelques papiers dont il aurait besoin plus tard.
-... T'as pas l'air bien, osa Stefen après avoir hésité à mettre le doigt sur quelque chose qui les ferait forcément revenir à la veille au soir.
-J'ai pas bien dormi.
-Il a refait une crise?
-J'ai arrêté de compter après cinq, soupira-t-il, se frottant les yeux pour essayer de se réveiller.
-Merde... Et lui, comment il va?
-Je sais pas. Il était déjà parti quand je me suis réveillé.
-Ah... Vous en reparlerez ce soir alors?
-Je sais pas... Il est censé aller chez ses parents ce soir, et faire son coming-out.
Stefen retint un hoquet de surprise et Peter lui expliqua sans qu'il ait besoin de le demander.
-Je pense qu'il ira quand même: quand il a décidé de faire quelque chose, il le fait, peu importe tout ce qui peut se passer autour. Et puis, il préfère avoir tous les malheurs, si on peut appeler ça comme ça, d'un seul coup plutôt que de les étaler sur une longue période. Donc ce soir, il risque de ne pas être à la maison avant très tard, et quand il rentrera, ce qu'il s'est passé hier ne sera sûrement pas ce dont on aura à parler.
-Appelle-le alors. Ca sera mieux pour vous deux de vous parler avant ce soir.
-Mais...
-Pas de discussion: c'est un ordre, fit-il avec un sourire doux.
Peter le remercia d'un regard et partit s'isoler dans un coin, la boule au ventre de reparler à Mikaël après la nuit terrible qu'ils avaient passé.